Votre libraire vous partage chaque semaine ses conseils de lecture et coups de cœur. Face à l’ immensité de choix qui s’offre à vous, constituez votre P.A.L et trouvez votre prochain livre de chevet ou une idée de cadeau. Nous pensons également à toute la famille avec nos recommandations spéciales jeunesse.
Et pour ne pas les oublier, retrouvez en bas de la page les sélections des mois passés.
#Janvier-février 2021 - Sélection Adulte
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Un bref instant de splendeur
d'Ocean Vuong
traduction de Marguerite Capelle (On earth we're briefly gorgeous)
Editions Gallimard
On suit Little dog, sa mère Rose (employée dans un salon de manucure), et sa grand mère Lan (qui signifie orchidée, atteinte d'un syndrome post-traumatique), tous trois (très connectés les uns aux autres) réfugiés vietnamiens établis du côté de Hartford dans le Connecticut (là même où a vécu Mark Twain). Avec toujours un peu en toile de fonds la guerre qui a eu lieu là-bas.
Little dog reconstitue par bribe l'histoire familiale et ses blessures en s'adressant à sa mère dans une prose éminemment poétique (analphabète, elle ne lira jamais la lettre, « lire est un privilège dont tu m'as offert la possibilité avec ce que tu as perdu»). Il lui parle notamment de Trevor son amour rencontré lorsqu'il bossait dans les champs de tabac. Trevor va mourir d'overdose. Trop d'Oxycontin.
Little dog est l'interprète familial (le seul capable de parler la langue du pays d'adoption) mais aussi celui qui observe l'épaisseur du silence, il remplit sa vie de la contemplation des monarques, phalènes, tortues serpentines, bisons, singes, élans, kipukas. Des petits riens éphémères : un bonbon pomme verte, «les moutons poussiéreux devenant soudain une vaste nappe de brouillard de la taille exacte de ton globe oculaire ».
Comme les drag-queens de Saïgon embauchés lors d'un décès pour «retarder la tristesse», Little Dog convoque l'écriture et le désir pour se retenir de tomber et sortir du deuil permanent : «les couleurs ce matin ont la teinte élimée de ce qui est déjà sur le départ», «que ne donnerions-nous pour que la vie massacrée des animaux raconte une histoire humaine ?».
Il observe les oscillations lumineuses et les modulations dans la nature «la nuit boit toutes les couleurs du jardin», «fil après fil, le crépuscule brode nos contours d'un rouge profond», «la lumière fait mousser de bleu la cime des plantes» jusqu'à en faire des leçons de vie : «du vent, j'ai appris une syntaxe de l'audace, une façon d'avancer entre les obstacles en m'enroulant autour d'eux. Ainsi, on parvient jusqu'à chez soi».
Le style fragmenté et métaphorique servent en permanence la puissance de l'écriture. Mais si on n'y est guère (ou pas encore – c'est en effet son premier roman) habitué, c'est aussi, comme l'indique l'auteur lui-même dans la postface, parce que «les frontières entre genre littéraires n'ont d’autres réalité que celle de l'étroitesse de nos imaginaires».

L'ami
de Tiffany Tavernier
Editions Sabine Wespieser
Thierry vit avec sa femme Elisabeth. Leur fils Marc s'est expatrié au Viet-Nam, Jules leur chienne est morte, tout comme Nelly d'ailleurs la chienne de Guy et Chantal qui vivent dans la maison d'à-côté et avec qui ils entretiennent des relations de bon voisinage depuis quatre ans. Pour Thierry qui est plutôt taiseux et solitaire (surtout depuis le décès d'Abdane à l'usine), il s'agit certainement d'un peu plus (c'est de Guy, son ami dont il s'agit), ils bricolent ensemble et partagent la passion des insectes. Mais un jour (« un samedi comme tous les autres »), ce sont des hommes en blanc qui ont investi la propriété d'à-côté et une rubalise qui en empêche son accès. Très vite le déferlement médiatique. Guy est l'auteur des pires atrocités, viols et meurtres de plusieurs jeunes femmes ; l'essentiel des scènes de crime ayant eu lieu
dans sa maison ou son jardin. C'est proprement impensable et «la fureur du réel fait si mal». Comment Guy pourrait-il être un tueur en série, l'incarnation du mal ?
Thierry et Elisabeth réagissent différemment à cette déflagration. Elisabeth ne cesse de pleurer et a besoin de fuir se réfugier chez sa soeur. Alors que sa femme lui demande de vendre la maison, Thierry se claquemure chez lui et essaie de garder le cap, de trouver d'impossible explication en relisant son journal intime. C'est toute sa vie qui craquelle. C'est sommé de s'arrêter par la DRH de son entreprise, qu'il entreprend un détour initiatique vers son passé pour mieux se retrouver, ré-apprendre à pleurer et «se réparer».
Ce qui pourrait s'apparenter à un sordide fait divers est traité de manière originale par le point de vue de Thierry et son désarroi face à la trahison de son ami. D'une grande justesse.

Une saison douce
De Milena Agus
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert (Un tempo gentile)
Editions Liana Levi
Dans ce nouveau roman, un chœur de villageoises nous conte l’arrivée des «envahisseurs» dans leur petit village de Sardaigne et les petits bouleversements que cela procure dans leurs vies.
Ce village perdu se mourait doucement : les plus jeunes étaient partis à la ville, les jardins avaient laissé la place à la monoculture de l’artichaut et à la production de biomasse, même le maire était parti dans une autre bourgade. Et voilà qu’un soir d’orage arrive un car de migrants et d’humanitaires. Cela n’était absolument pas prévu et les villageois se sentent envahis. Quant aux migrants, ils n'ont pour horizon que la «vraie Europe» et ne compte pas s'attarder sur ces terres reculées.
Pourtant, au fil des jours, quelques villageoises vont se regrouper et leur proposer de l’aide : des vêtements, de la nourriture. La présence de ces nouveaux habitants finalement donne un nouvel élan aux habitantes puis aux habitants : la demeure investie est retapée, un jardin potager est créé, des habitants qui ne se parlaient pas se retrouvent pour le thé.
Milena Agus nous emmène au théâtre : la liste des personnages donnée au début du livre, en décor un village encaissé entre des montagnes, la ruine et la demeure des Dames, un espace-temps délimité par le passage des migrants. Sur scène, quelques personnages se détachent, mais la plupart reste en groupe comme s’il s’agissait à la fois de nous faire entrer dans la vie intime de quelques personnes mais aussi de nous livrer une histoire universelle.
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OLEG
de Frederik Peeters,
Editions Atrabile
On retrouve Frederick Peeters, 20 ans après les pilules bleues, marqueur d'une génération. Prolongement autobiographique (avec la dérision qui va avec «c'est très prétentieux de remplir un livre avec sa vie»), il met en image les affres de l'existence d'un bédéiste.
L'affaire est annoncée dès la mise en exergue, «Tout ce que nous appelons «réel» est fait de choses qui ne peuvent pas être considérées comme réelles» (Niels Bohr).
Au centre donc OLEG, anagramme de L'EGO (l'ouvrage a aussi été imprimé sur les presses de L.E.G.O. en Italie). On le retrouve dans son environnement quotidien à se cogner aux choses du réel), à lutter contre sa propre obsolescence (du recours aux verres progressifs, «son rapport au monde, autrefois fluide et élastique, à tendance à se coaguler lentement, imperceptiblement, à la vitesse d'un enfant qui grandit», des idées qui glougloutent sans qu'elles n'accouchent d'inspiration fulgurante malgré les relances de son éditeur).
Il est depuis 20 ans avec sa femme Alix, laquelle va faire un AVC ou plutôt un FOP. Il essaie de booster son ado Elena qu'aucun métier ne semble intéresser et qui déplore que les marches pour le climat se finissent au KFC.
Il est à la recherche des petits couloirs secrets et essaie de redonner de la valeur aux choses face à la déstabilisation du monde (il est végétarien, prend part au potager associatif de la ville, s'interroge sur la nécessité de tel ou tel voyage,...).
Le rouge éclatant de la couverture où l'on retrouve Oleg allongé sur le dos en train de prendre le temps de ne rien faire, comme en flottaison, position facilitant l'introspection (ou l'auto-hypnose) et qui tranche avec le noir et blanc de l'intérieur.

Par instants, la vie n'est pas sûre
de Robert Bober
Editions P.O.L.
Ce livre est présenté comme une lettre-récit que Robert Bober adresse à son ami Pierre Dumayet avec lequel il a réalisé plusieurs documentaires permettant d'introduire la littérature à la télévision. «Si j’ai choisi de t’écrire Pierre, c’est que j’ai préféré m’adresser à toi plutôt que de parler de toi. Il m’a semblé ainsi réduire, effacer même par instants, la distance qui sépare la vie de la mort. »
Le texte est structuré autour de leur souvenir en commun en lien avec les rencontres, tournages et lectures partagées (Perec, Dumas, Alechinsky, Hartung, De Lucca, Delamain, Cézanne et ses cartes blanches, POL, Vuillard, Grumberg, Jankélévitch, Buber, Celan, Roth): «Oui, un livre fait parfois un miracle : celui de penser à son auteur comme on pense à un ami» .
C'est comme si ces souvenirs étaient parlés, comme s'ils rappliquaient en désordre, «par bouffée».
Avec une attention infinie aux lieux (ça se passe beaucoup du côté de la Butte aux Cailles dans le 13ème arrondissement de Paris - - pas étonnant que la librairie qui a choisi récemment de s'y établir s'appelle ainsi librairie du Désordre;), aux dialogues, aux silences (ou l'art de faire parler les silences), aux textes, aux surlignements, à la langue (de très beaux passages sur des écrits ou traduction en yiddish). Le compagnonnage des mots et des images. Et, une succession de parenthèses (et de notes de bas de page), comme autant de marqueur autobiographique, qui tout à la fois documentent le propos (comme autant d'arrêt sur image, puisque le texte est émaillé de photos) et permettent de dire à l'adresse de Pierre Dumayet ce qui n'a peut-être pas pu lui dire ou ce qui l'aurait aimé lui dire de son vivant.
Au cours de cette parcelle de temps prise sur le reste que constitue la lecture réjouissante de ce livre, on déambule dans ces souvenirs évoqués de manière éparse sans jamais s'y perdre, l'auteur ayant la délicatesse de nous y amener à pied. Une bien belle visite.

Aller aux fraises
d'Eric Plamondon
Quidam Editeur
Ce sont trois nouvelles qui sont proposées ici par Eric Plamondon, et cette fois-ci sans glossaire pour nous aider à bien comprendre la très suggestive langue québécoise.
Avec aller aux fraises, on sillonne dans le froid les usines, les routes sans fin. On est au Québec et on suit le quotidien de gens ordinaires, ces petits riens saisis sur le vif. Dans ces tranches de vie, dans la monotonie des dimanches, il y est question de la jeunesse qui s'illustre dans l'alcool, qui s'initie à l'amour, qui se consolide dans l'amitié. L'apprentissage de l'émancipation. Mais aussi les dumps de Kingsville (Thetford Mines), ces montagnes de poussières liées aux mines d'amiantes, là où serait né le syndicalisme québécois.
Et parfois un instant poétique fait irruption : ou quand il faut rentrer chez soi sous la neige et qu'un orignal blanc suspend le temps.
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Mousse
de Klaus Modick, traduit de l'allemand par Marie Hermann
Editions Rue de l'échiquier
Ohlburg, scientifique vieillissant réputé pour son travail sur la nomenclature botanique, se retire dans la maison de campagne familiale pour écrire son ultime ouvrage visant à critiquer les méthodes de la botanique moderne. Alors que son père veillait constamment à ce que tout soit maitrisé, qu'il n'y ait aucune trace de mousse et d'humidité, Ohlburg s'autorise à lâcher prise et laisse la nature prendre la place qui lui revient. Lui qui passait son temps à classifier, se met à regarder autrement les plantes qui l'entourent et en particulier les mousses (moos en allemand, les deux o juxtaposés du mot rappelant au botaniste le microscope de ses études). Ce pas de côté lui permet de voir le monde autrement, de développer un rapport sensoriel à son objet d'étude de toujours. Il s'imprègne des détails, s'émerveille de la texture d'une mousse, de la capacité d'une autre. C'est à l'aune de ces observations qu'il relit son passé, ses premières découvertes, ses premières amours.
Il finit par ne plus bien savoir quand il est éveillé ou en train de rêver. Il divague et la mousse peu à peu s'installe de partout.
Ecrit en 1984, ce roman est considéré comme un œuvre majeure d'écofiction.

Ce matin-là
de Gaëlle Josse
Editions Notabilia
Ce matin-là, c’est le jour où tout s’effondre.
Clara voulait être professeure, rêvait de voyager mais deviendra conseillère clientèle pour rester près de son père victime d’un AVC. Construire une vie sur des renoncements demande de l’énergie, tout semblait aller bien, jusqu’à ce matin là.
La voiture ne démarre pas, c’est la point de rupture. La pensée s’emballe et entraîne Clara à revisiter ses choix et ses fausses routes. Les secrets de famille et les non-dits, un amour qui s’absente, le travail sous pression pour un métier sans âme, le monde externe qui ne rejoint plus l’intime « ce sont des planètes qui tournent chacune sur leur orbe, sans collision et sans proximité» et le corps cède, un plus rien qui prend des airs de burn out. Amis, famille, collègues de travail, tout disparaît. Comment alors trouver la lumière dans une vie qui continue quand tout est l’arrêt : prendre du recul, s’adapter, s’opposer, se taire, surinvestir ailleurs ou aisir la main tendue pour une vie plus éclatante ?
Avec ce mélange de force et de fragilité, de légèreté et de profondeur, un roman qui redonne vie.

Alegria
de Manuel Vilas, traduction de l'espagnol par Isabelle Gugnon
Editions du sous-sol
Alegria est la suite d'Ordesa où l'auteur-narrateur stagne dans le deuil après le décès de ses parents. Le temps passe mais cette disparition ne passe pas. Le narrateur (le seul qui n'a pas de nom) est aux prises avec une mélancolie, les pensées morales les plus sombres d'Arnold (Schönberg, l'inventeur du dodécaphonisme, mais surtout l'ange de sa dépression) font des incursions. Pour les faire taire, il a recours aux benzodiazépines. Il éprouve le besoin à chaque instant d'évoquer ou de communiquer avec ses parents comme pour prolonger leur existence.
Il lui reste ainsi la convocation méticuleuse des souvenirs (les dates comme objet de fixation) pour dominer sa tristesse et l'écriture «pour enjoliver ses peines». Et parce «dans son sens le plus profond la vie ne se déroule que dans le souvenir qu'on en a ».
Ecrivain il fait des voyages (Chicago, Zurich, Venise, Collioure...) pour «se trainer à travers le monde» et ne pas rester immobile. La vie n'étant faite que de détails, à l'instar de Proust ou d'Annie Ernaux, il aime évoquer et se remémorer des sensations (les blancs d'oeuf saisis dans l'huile chaude, le vent mêlé au soleil), objets matériels (les bibelots, les montres, les draps, la SEAT 124 puis «quatorze trente» puis Malaga) mais aussi les couleurs (le jaune omniprésent, les chemises pas tout-à-fait blanches) les bruits et les odeurs qui font parler les époques, qui parlent de nous. Et quand ça ne va pas, il change de chambre d’hôtel.
Ce ressassement addictif du passé sonde les furtifs ou balbutiants moments de joie, fussent-ils, reconstitués ou espérés. Il n'en reste pas moins que l'alegria dans ce livre reste ténue.
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Encabanée
de Gabrielle Filteau-Chiba
Editions Le mot et le reste
Court premier roman inspiré de la vie de l'auteure.
Pour fuir la grisaille, le cirque social et le superflu de Montréal, Anouk achète une cabane rustique et un bout de forêt dans le Kamouraska. Into the wild. Le lecteur est invité à la suivre et à partager son journal et ses listes (phrases pour ne pas sombrer dans la folie quand tu as froid, questionnements en position foetale, qualités requises pour survivre en forêt,...), l'espace d'une semaine, début janvier.
On s'y croirait : le froid nous saisit tout comme le silence l'apaise. On partage avec elle ses gestes de survie du quotidien et les expressions quebecoises (s'emboucaner, manger ses bas, pelleter la neige par en avant...) à l'épreuve de la solitude (« se sentir seul en chien»). Jusqu'à ce qu'une silhouette se présente et qu'une re-naissance affleure...

Le panseur de mots
d'Isabelle Aupy
Editions du Panseur
Cette fois-ci il n'est pas question de chats qui disparaissent. Où donc peuvent nous entrainer Isabelle Aupy et les Editions du Panseur ? Une nouvelle histoire autour de la puissance du langage ?
Un véritable tournoiement textuel. Un typographe parlerait peut-être d'hypothytose. Les actants sont désignés tout au long du texte, certains avec amusement (à l'instar de la ponctuation : les triplés, les jumeaux), certains avec majuscule (le Sujet, le Verbe, les Correcteurs, les Souffleurs de Vers, le Paragraphe, le Poète, l'Ouïe, l'Ottoman, l'Auteur, le Lecteur), certains en italique (On), certaine avec des meurtrissures (l'apostrophe).
Isabelle Aupy joue des formes, se joue de la graphie (les courbures, les mouvements, les postures, les angles, les rondeurs, la corporéité des lettres, l'entrelacement et la chair des mots, les styles, les espacements, les lignes, les interlignes, les sauts de page aussi), mais aussi des fonctions de ces personnages qui ordonnancent le Livre ; ce qui permet « littérairement » de donner vie aux mots.
Cette attention de tous les instants à la morphologie du texte nous mène loin, très loin : après l'effet de répétition d'un passage évocateur qui nous fait tourner en rond («Sur le bord du sentier, une roulotte jaune et rouge aux volets branlants et aux roues brisées»), on en vient à rechercher du sens là où se niche peut-être seulement une coquille (à l'instar de l'Ouïe qui est dans l'histoire de genre masculin, le lecteur ici en est venu à s'interroger à la page 115 sur le masculin du pronom possessif accolé à tunique, mais pourquoi « son» ?). Mais cette forme soignée, recherchée vaut le détour. C'est avant tout la puissance du langage utilisé, la configuration du récit qui transforme les mots en personnage qui transporte des idées. L'histoire se dessine en fragments (la métamorphose et l'«empowerment» de Belle puisque c'est de cela dont il est question), dans le creux de ces mots virevoltants. Ou comment l'écriture dialogue avec la lecture.
«Et si le texte était une chose concrète, tangible et immuable... si l'écriture était un objet qui peut se voir et se toucher... si à travers elle, il était permis d'atteindre ce qui ne peut que s'imaginer ou se désirer... Alors? Alors l'histoire serait plus grande que ça».
Comme une marque de fabrique des éditions du Panseur, on retrouve une mise en abime (de l'importance des miroirs, des reflets, des prismes aussi) une inter-textualité, en ayant recours parfois à des références à d'autres livres ou auteurs également publiés aux éditions du Panseur (ainsi l'on retrouve Antonio, prénom de l'auteur du Quatrième roi mage qui lui-même avait eu recours à des signets typographiques pour appeler ses personnages) ou au livre lui-même. Prend ainsi forme tout un programme, où il s'agirait non seulement de faire des mots des vivants mais aussi pour paraphraser un ouvrage de Jean Faya, il de panser le sensible.

Les caves de Potala
de Dai Sijie
Editions Gallimard.
1968, le palais de Potala, ancienne demeure du Dalaï lama, est occupé par une petite troupe de gardes rouges.
Alors que les jeunes gardes rouges profanent les plus hautes œuvres d’art bouddhique, Bstan Pa, ancien peintre du Dalï lama retenu dans les anciennes écuries pour crime contre révolutionnaire, se souvient de son existence dédiée à la peinture sacrée.
Il lui faudra toute une vie, de longs voyages à travers le Tibet et la rencontre des plus hautes autorités religieuses pour considérer son art comme un acte de foi.
Les caves de Potala est un roman de souffrance, d’humiliation mais aussi de poésie et de spiritualité qui nous fait découvrir la richesse culturelle de la vie au Tibet, la grandeur du royaume et son effondrement.
Jusqu’au seuil de sa mort et malgré la torture, Bstan Pa ne baisse pas les bras et, en homme libre, voue une fidélité sans limite au Dalaï Lama.
Le vocabulaire tibétain et les nombreuses références peuvent ralentir la lecture mais ce sont des connaissances fondamentales à la compréhension du désastre annoncé.
Après, Balzac et la petite Tailleuse chinoise et L’évangile selon Yong Sheng, on reste avec ce nouveau roman dans cette foi en l’art, la culture et la connaissance comme vecteur de liberté.
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Là où nous dansions
de Judith Perrignon
Editions Rivages
Judith Perrignon nous invite à suivre les habitants noirs, dans les plaines du Michigan au sein d’un quartier est de Detroit voué à la destruction et ravagé par le crime.
Detroit berceau de l'automobile, du grand rêve industriel qui s'est mal terminé. Du rythm and blues aussi («la musique fait son travail, ramasse les débris, regroupe tout, (…) c'est tout ce qu'il reste quand il n'y a plus rien»). Feu paradise valley. Une ville qui «n'offre aucune ligne d'horizon, (..) trop décousue, faite de creux hantés et de pleins inhabités».
Ce roman choral se construit autour de Brewster Project, un quartier d'habitat social inauguré en 1935 par Eleanor Roosevelt (pendant que Franklin était retenu par la polio). Puis les blocs laissent place au vide puis à des voies rapides.
On y retrouve Ira qui est flic, sa mère Geraldine, son père Nelson, sa grand-mère Roselle. The Supremes groupe de chanteuses qui font la fierté du quartier.
Mais aussi Sarah qui travaille à la morgue et qui cherche obstinément à retrouver l'identité du corps de celui qu'elle surnomme Frat Boy, un artiste français venu peindre les ruines du capitalisme (ce ne sont pas des matsutakes qui figurent sur ses dessins mais des oiseaux, «l'aigle (à tête blanche) recherche les zones les plus sauvages, il ne vit pas à moins d'un kilomètre des zones les plus faiblement peuplés par l'homme») et qui s'est retrouvé assassiner.
Les uns, les autres évoquent le passé de ce quartier, les jeux qui étaient les leurs (that's my car) et les déflagrations de leur existence avec en toile de fond les processus de relégation, promesses de revitalisation (dans les faits, gentrification et violence à l’œuvre) : urban renewal, negro removal.
On retrouve des descriptions fulgurantes et expressives des personnes, des lieux qu'elles habitent, qui m'ont évoqué celles de L'esprit de l'ivresse de Loïc Merle mais aussi une approche des différentes sédimentations et métamorphoses qui ont façonné/dépecé la ville (construction/déconstruction) face aux appétits des promoteurs («une ville enserrée par des managers») et de cet esprit de résistance, de colère des oubliés, s'exprimant à travers la musique («le plus puissant des sortilèges») si bien retranscrit dans la série Treme.

Histoire du fils
de Marie-Hélène LAFON
Editions Buchet-Chastel
Marie-Hélène Lafon reconstitue l’histoire d'André (le fils c'est lui), sa quête d'identité. Élevé par sa tante, au milieu de ses cousines. Entre le Lot et le Cantal, Figeac, Aurillac, Chanterelle. Il est aussi question de Paris où vit Gabrielle sa mystérieuse mère. Son père, seize ans plus jeune qu'elle, est quasi inconnu. Autour de trois générations, on ouvre les tiroirs, on explore les lignées familiales et cherche à combler cette absence dans l'arbre généalogique ; à la recherche, non chronologique (c'est l'un des intérêts de la forme empruntée par le livre) des traces laissées par ce père. Succession de tableaux (MH Lafon est certainement peintre à ses heures perdues) servie par une écriture ciselée, ô combien soignée. Une écriture ancrée dans un espace-temps, matinée d'expressions à la Annie Ernaux, à la Françoise Héritier. Une plume qui vous transporte habilement dans cette histoire familiale bouleversée. Un futur classique peut-être.

Les impatientes
de Djaïli Amadou Amal
Editions Emmanuelle Collas
«Munyal! Patience !», voilà ce que toute femme du Sahel entend depuis sa naissance. Parce qu’elles sont nées femmes, Ramla, Hindou et Safira doivent faire preuve de patience face aux souffrances qu’elles endurent. Arrêter ses études, se marier à un homme qu’elles n’aiment pas, et qu’elles ne connaissent peut-être même pas, supporter le viol conjugal et ne surtout pas en parler, accepter que son mari ait plusieurs femmes… Mais à quel coût ? Quel échappatoire ont-elles ?
Autour des trois parties que constituent le roman, ces femmes aux parcours qui s’entremêlent nous racontent leur mariage forcé et les violences qu’elles subissent. Il est aussi question du regard qu’elles portent sur les autres femmes de leur famille et du regard que leur portent les membres de leur famille, des effets et craintes de réputation.
Djaïli Amadou Amal dénonce sans détour ni tabou la question des violences faites aux femmes. Que ce roman ait eu le prix Goncourt des lycéens n’a rien d’étonnant, il nous indigne à juste titre et fait réagir les adultes en devenir. Ce qui révolte tient aussi au fait que tradition oblige, ce sont aussi ces femmes qui, malgré elles, se retrouvent en situation de reproduire et participer à cette violence.
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Fuir et revenir
de Prajwal Parajuly
Editions Emmanuelle Collas
Traduction de l'anglais par Benoîte Dauvergne
Les Editions Emmanuelle Collas ne font pas parler d'elles uniquement car elles viennent d'obtenir le Goncourt des lycéens avec les Impatientes de Djaïli Amadou Amal...
Prajwal Parajuly ne fait pas parler de lui uniquement parce qu'il était en pôle position pour le prix du premier roman étranger 2020 et qu'il est toujours en lice pour le prix de littérature Emile Guimet ; pas non plus parce qu'après avoir été en résidence à la Maison des Ecrivains Etrangers et des Traducteurs de St Nazaire, il s'est posé quelques semaines durant du côté de St Just à quelques encablures de l'Esperluette...
C'est une belle expérience de lecture que de s'embarquer à bord de Fuir et revenir. On se retrouve à Gangtok, au Nord Est de l'Inde, aux confins du Népal, du Tibet, du Sikkin, du Bhoutan et du Bangladesh, carrefour emprunté également par la route de la Soie (la carte à la fin du livre est bien utile). Deux frères et deux sœurs venus d'Angleterre et des Etats-Unis sans leur pièces rapportées (ou presque, Nicky s'incruste) viennent célébrer le chaurasi, c'est-à-dire le 84ème anniversaire de leur grand-mère Chitralekha (Aamaa). Depuis le décès accidentel des parents, ils s'efforcent de redevenir le temps de quelques semaines partagées ensemble une famille à 5. Mais les retrouvailles de la famille Neupaney ne se font pas sans heurt, «les sujets sans danger sont épuisants. Le reste est explosif». Ils sont toujours au bord du tamasha (l'esclandre). Entre tradition et modernité, affleurent réminiscences, jalousies et rancunes. La matriarche qui régente la vie de ses petits enfants n'épargne personne, la domestique transgenre excelle, quant à elle, dans l'art de dissimuler de petits cailloux dans le riz. Pas même le temps d'appliquer la tika et célébrer la puja que la grand-mère à poigne et fumant des bedi fait un malaise.
Un roman résolument haut en couleur, aux accents de comédie, qui dépeint avec subtilité les petites et grandes complications d'une histoire familiale.

Le Pégase
d'Antoine Sanchez
Editions l'Atteinte
Pour son premier roman, cet auteur vivant à Lyon nous ouvre les portes du Pégase, bar-tabac du coin de la rue patiné d'une douce nostalgie. Y'a Raymond le patron, Odile sa compagne, Jörg l'Allemand, Norbert, André, le colonel, l'aristo, la nouvelle... Ce ne sont plus les grands jours, un restaurant a ouvert en face, mais Raymond ouvre tous les matins, et les habitués retrouvent chaque jour leur place et leurs petits rituels. Cela pourrait être un décor de film ou de chanson.
En peu de mots, Antoine Sanchez nous brosse des portraits qu'on croirait connaître et lorsqu'on referme le livre on ne souhaite qu'une chose, aller au coin de la rue regarder à travers la vitrine du Pégase pour continuer à suivre la vie cabossée de ses habitants.

Chiisakobé - tome 1
de Minetaro Mochizuki
Editions Le Lézard Noir
Manga
Manga en 4 tomes tiré du roman de Shûgorô Yamamoto situé dans la période Edo et que Minetarô Mochizuki transpose dans le Japon d’aujourd’hui.
Shigeji, jeune architecte vient de perdre ses parents dans un incendie, et par la même occasion l'entreprise de charpenterie qu'ils possédaient. Décidé à la reconstruire par ses propres moyens, sans demander d'aide, il se retrouve également à loger malgré lui cinq orphelins au caractère bien trempé, dont la jeune Ritsu tente de prendre soin.
Le tracé simple et les cadrages souvent serrés sur les différents personnages mettent en avant leurs émotions et la complexité des relations humaines. C'est aussi à travers de petits gestes et tensions, des mouvements parfois infimes, des onigiris mal alignés ou des chaussures dépareillées, que l'auteur dévoile l'intériorité de ses personnages.
A cela s'ajoute une touche d'humour qui n'est pas pour déplaire.
On s'attache vite aux personnages et on a hâte de les suivre dans la suite des tomes. Cela tombe bien puisque tous sont déjà publiés, donc pas la peine d'attendre pour lire les 4 d'affilée.
#Janvier-février 2021 - Sélection Jeunesse
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Le sourire de Suzie
D’Anne Crahay
CotCotCot Editions
Pour petits et grands
Un album tout en finesse et poésie pour nous parler de la difficulté, parfois, d’être juste soi et de l’injonction d’être toujours souriant et content.
Suzie, un jour, perd son sourire. Avec ses parents, elle le cherche partout… en vain. Le regard des gens qui la croisent se fait dur. Alors Suzie de dessine 1000 sourires de papier : celui du lundi matin, celui pour les copains, celui pour dire je vais bien… Et chaque matin, comme elle enfile ses chaussettes, elle met celui qui convient. Mais un jour le vent emporte ses 1000 sourires. Comment vivre sans sourire ? Peut-on être aimée sans sourire ?
Pour nous faire ressentir les émotions par lesquelles passe la jeune Suzie, Anne Crahay allie collages, photos, tissus, peinture et dessins. Chaque lecture nous amène un nouveau regard. A lire et à relire, qu’on soit petit.e ou grand.e

Victor au zoo
De Harrie Geelen
traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron
Albin Michel Jeunesse
Dès 3 ans
Victor part au zoo en tricycle avec son cerf-volant, sa catapulte et sa plus belle bille. Au fil des rencontres avec les animaux, il échange son tricycle contre la trompe de l’éléphant, son cerf-volant contre les bois du cerf… et finit par rentrer chez lui tout métamorphosé. Comment sa maman va-t-elle pourvoir le reconnaitre ? Heureusement il a gardé sa bille préférée !
Un livre drôle sur ce qui fait de nous ce que nous sommes.
Les illustrations tout en couleurs, focalisées sur les personnages aident l’enfant à se centrer sur Victor et ses transformations. Pourquoi ne pas demander aux jeunes lecteurs d’imaginer ensuite les échanges qu’ils feraient pour se transformer sans jamais perdre ce qui fait qu’on les reconnait sans se tromper ?

Peluche, au fil des saisons
De Chloé Malard et Juliette Vallery
Les petites bulles éditions
Dès 2 ans
4 petites histoires, une pour chaque saison. On y découvre les « grandes » aventures de Peluche, un ours bleu tendre toujours souriant. Il est question de surprises, d’amis, de découvertes, d’un peu de fantaisie et de beaucoup de tendresse.
L’histoire de l’hiver commence comme celle de La moufle ou de Petite taupe, ouvre-moi ta porte, où chaque animal vient se mettre au chaud, puis une surprise nous embarque dans une folle glissade.
L’histoire du printemps nous emmène à la découverte de l’inconnu.
En été, Peluche rêve beaucoup et rencontre un éléphant qui n’a qu’une envie, c’est de se baigner en maillot de bain.
Et en automne, la baignoire se met à danser !
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Rosie
de Gaetan Dorémus
Edition du Rouergue
dès 3 ans
Gaëtan Dorémus signe un troisième album, en continuité de « Tout doux » et « Quatre pattes », destinés aux plus petits.
Rosie, toute jeune araignée ressemblant une petite pelote rose, est perdue, elle ne retrouve plus son fil. Au fil des pages, elle en trouve de nombreux, mais ce n'est jamais le sien... enfin, jusqu'à la fin ou elle retrouve enfin son fil... discret mais bien présent, comme la traduction d'une bienveillance qui l'a toujours accompagnée.
Tout en couleurs et finesse, les illustrations, comme à chaque fois, sont pleines de détails et de vie. Elles nous entrainent avec plaisir dans ce récit d'initiation.
Si le cœur vous en dit, vous pouvez même profiter de la lecture de l'album par Gaëtan Dorémus en suivant ce lien : https://vimeo.com/470197522

Cachée ou pas, j'arrive !
De Lolita Séchan et Camille Jourdy
chez Actes Sud
Entre l'album jeunesse et la BD
à partir de 4 ans
Lolita Séchan et Camille Jourdy écrivent et dessinent habituellement seules. Dans cet album, elles s'amusent à faire se rencontrer leurs personnages respectifs, Bartok et Nouk, dans l 'univers de la famille Biloba (petites taupes pleines de malice).
Cette partie de cache-cache revisite malicieusement Le Petit Poucet et Alice, dans une ambiance lumineuse et réjouissante. Bartok et Nouk vont rencontrer de nombreux personnages : Ourson grognon, Mémé Molle au bécot qui pique, hérissons jouant aux cartes avec une vermeille, petits monstres sympathiques et bestioles peu ragoûtantes. Et passer par des émotions fortes et contrastées.
Les décors fourmillent de détails et de clins d’œil qui plairont aussi bien aux plus grands.

Les faits et gestes de la famille Papillon tome 3 – les succès de Domi
de Florence Hinckel
Chez Casterman
roman jeunesse dès 10 ans
Voici le dernier tome de la trilogie. Nous suivons toujours pour notre plus grand plaisir les familles Papillons et Avalanche. Le rythme enlevé et mouvementé des toutes premières pages nous donne le ton pour l'ensemble du récit.
Eva, jeune fille Papillon aux pouvoirs magiques (elle provoque des événements positifs à condition d’avoir des sentiments positifs, et inversement), nous raconte sa nouvelle aventure qui commence cette fois par la révélation du secret de famille le mieux gardé et son enlèvement par son oncle Boris.
Dans ce tome, nous découvrons aussi le passé de ses parents, plein d'anecdotes et de souvenirs illustrés comme à chaque fois par des photos noir et blanc tirées de la collection de Jean-Marie Donnat.
Histoire individuelle, histoire familiale et grande histoire se mêlent par l'effet papillon. Florence Hinckel a pensé aux moindres détails de manière à que ça tienne debout. Les dates coïncident, les circonstances aussi et c'est un véritable voyage dans le temps.
A la fois déjanté, sensible et instructif.
La P.A.L. 2020 Adulte







































































La P.A.L. 2020 - sélection Jeunesse























































